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28/05/2022

Je suis allée jusqu’au bout et j’en suis tout heureuse. 

Il m’arrive d’être inopinément en contact avec, dans mon entourage, une femme en difficulté, dangereuse parce que les chagrins l’ont mise en démence. C’est au point où cette personne est connue et des commissariats de police et des hôpitaux. Un jour de crise où il fallut la conduire d’urgence en service de psychiatrie, sept professionnels durent opérer ensemble pour l’emmener. 

Quand elle donne des coups aux vasques de fleurs devant une habitation, la poterie casse, jamais son pied. C’est ce qu’en français nous avons dit être « déchaîné » : avoir une force décuplée par la colère venant à bout même des camisoles de force. 

Je ne recherche pas le dialogue avec cette femme, puisqu’elle peut, de diverses façons, attaquer et l’a déjà fait. Je n’esquive pas non plus la rencontre fortuite. Je ne la prolonge évidemment pas. 

Depuis 25 ans que j’’entrevois cette personne ou reçois ses courriers qui me poursuivent, je suis bien obligée de reconnaître par devers moi qu’elle a tout d’une sorcière, surtout maintenant qu’elle est pliée par l’âge. Inexorablement, nos amertumes et nos colères nous abîment. 

Pourtant, pourtant… On distingue, sous ou à travers les impacts du malheur sur cette femme, une grande beauté : physique bien proportionné et visage de caractère, chevelure douce rassemblée en chignon souple ; intelligence remarquable ; goût du travail ; sens esthétique dans le choix des objets ; bel accent des pays de l’Est, capacité à utiliser la langue française comme un instrument de musique en violence ou politesse raffinée. Souvent, cette femme me fait penser à notre « Lore en folie », selon l’expression d’Apollinaire. Grand chagrin, aliénation émouvante de douleur, dignité… 

Chaque fois que je la croise, je dis ce que je remarque de beau en elle, toujours sans mentir. C’est l’habit seyant ou le mouvement de la chevelure ou le noble sourire ou la jolie prononciation des mots, la musique de sa voix. Puis je file, sachant que cet être blessé ne supporte pas bien la présence. 

Il y a quelques semaines, j’ai remarqué à sa façon de me saluer que cette femme en est venue à avoir de la tendresse pour moi, derrière les courriers difficiles…. Je ne me fais pas d’illusions, l’agressivité et le danger sont toujours là. Mais maintenant la douceur aussi a, en cette personne, droit d’expression. Elle – Qui ? La personne, la douceur en cette personne ? – a entendu l’incantation et mon obstination à communiquer et ma foi en la part de santé en tout être. 

Aujourd’hui, cette femme m’appelle et et et ….voici qu’elle n’est que beauté ! C’est fabuleux. Il n’y a plus que l’élégante douceur très distante d’une femme raffinée d’un pays de l’Est, une femme âgée aux cheveux souples, au regard sagace, à la voix musicale : « Madame, me lance – t- elle, vous êtes belle. » De sa part, femme si fine, j’écoute et prends ! Elle sait évaluer, infailliblement ! Je puise en son attitude du courage.

Le plus fort dans tout cela, c’est que la fée s’est révélée, la fée sous les oripeaux de la sorcière. J’en reste sidérée comme ceux qui eurent un jour une apparition ! Et le plus fort du plus fort dans tout cela, c’est que ma perception de cette femme s’est affinée. Je sais mieux que jamais que c’est une dame et que cette dame n’est ni une sorcière ni une fée mais une femme à chérir tendrement, à distance toujours pour ne pas écorcher ses blessures toujours à vif. 

Cela valait la peine de tenir dans la sympathie, d’aller jusqu’au bout de l’incantation, pour cette femme et pour moi, pour nous tous. A chaque fois que l’un d’entre nous retrouve sa place en la ronde des enfants des hommes, c’est fête pour tous ! 

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