Manuel de lecture en maternelle
J'appris à lire, en maternelle, avec une institutrice bienveillante. Je n’avais que trois ans mais, sans plus me souvenir ni de sa silhouette ni des ses traits, je sais encore son nom, Lucie. J'ai gardé, ce qui signifie que je l'aimais, le manuel dans lequel je découvris, avec elle et par elle, les lettres, puis les mots, puis de petits textes. Ce livre, vieux de soixante ans maintenant, reste à portée de mon regard et cette femme, qui s'est tout à fait effacée, est toujours là, de façon diffuse, lumineuse.
Je suis reconnaissante envers cette enseignante, d’abord parce qu’elle ne m’a pas dégoûtée de l’exercice, ensuite parce qu’elle ne s’est pas immiscée dans mon rapport avec la lecture. Ce fut mon domaine à moi, dans lequel je me débrouillais avec mes forces à moi, bénéficiant, certes, d'une transmission. J'estime lui devoir mes trois doctorats.
Profane dans tous les sens du mot (1. non religieux, 2. faisant office de narthex), le manuel dans lequel j'appris à lire portait le livre qui deviendrait unique pour moi : la Bible. Je découvre cela à l'occasion de l'écriture de ce texte pour ce site.
La première de couverture du livre qui m'apprit à lire et donc aussi, pour une bonne part, à vivre, c'est le paradis de la Genèse : un petit garçon et une petite fille sous un pommier, Adam et Eve sous le pommier. Ils sont là faisant bon usage du jardin, de la connaissance, de leur désir de comprendre. Ils ne mangent pas les pommes, qui pourtant ne sont pas de l'ordre du tabou puisqu'ils les ont bien à portée de la main. Ils lisent, ils étudient. En d'autres termes, ils ne cueillent pas l'amour, ils le contemplent. Alors l'amour continue de vivre et eux aussi et le jardin aussi. Ils acceptent d'avoir des limites, de ne pas tout savoir d'un coup , de devoir apprendre pour retrouver par eux-mêmes. Ils le font de bon cœur. Alors tout prend saveur. Mon premier livre, profane, équipait bien, pour sa vie, l'Eve que je suis.
Enseigner la lecture
Enseignante, je rencontre beaucoup de parents désolés parce que leur enfant n'aime pas lire. Ils cherchent comment remédier à cela. Ce que je puis dire à ce sujet, c'est que, pour moi, l'amour de la lecture fut possible parce qu'on ne l'a pas voulu à ma place, parce que j'en ai été témoin chez les adultes, et parce qu'ils se sont bornés à accompagner mon attirance pour l'acte de lire advenue d'abord par mimétisme, ensuite par fierté et donc plaisir, puis par intérêt pour les découvertes du livre.
Mes parents ne firent pas de la lecture leur affaire. Ils ne me forcèrent jamais à lire, ne m'imposèrent rien en la matière, s'abstinrent d'intervenir sauf si je demandais des ouvertures en la matière. Même ceci, ils le firent peu : ma mère m'emmena chez une bibliothécaire. Le dialogue se poursuivit avec ce tiers. Excellent ! Il faut ce tiers. Qui plus est, la connaissance de la méthode à suivre, à savoir demander conseil à des professionnels, impliqués mais distants, compétents, m'était donnée. Auprès d'eux, j'appris à chercher à la fois avec eux et par moi-même.
Mes parents surent être là autrement. Ils se réjouirent de chaque pas que je faisais dans le monde de la lecture. Ils investirent financièrement beaucoup : dès mes trois ans, tous les dimanches, j'avais comme eux mon journal, Riquiqui et Roudoudou, et ils me constituèrent, peu à peu, donc sans risque d'overdose, une superbe bibliothèque de livres d'enfants dont j'ai gardé quelques exemplaires chéris. Quand, plus tard, je demandais un cadeau, c'était un livre de de la Bibliothèque rose, puis verte ou rouge et or. Je le recevais.
Parallèlement, ils cultivaient leur propre goût pour les livres. Ils allaient le samedi en librairie et il y en avait alors pour plus d'une heure. Sans plus s'occuper de moi, ni de personne d'autre, ils compulsaient, compulsaient encore, de rayon en rayon : médecine, champignons, arbres, oiseaux, mammifères, psychologie, théologie, histoire, politique. Je me serais ennuyée si je n'étais pas partie de mon côté vers mes rayons à moi : chevaux, chiens, chats, romans jeunesse, documentaires et manuels pratiques pour adolescentes ! Le dimanche, mes parents tenaient à ce qu'ils appelaient « avoir encore une soirée ». C'était lire dans le salon l'un près de l'autre, chacun plongé dans ce qui l'intéressait et en faire part au conjoint, parfois, en de brefs fragments de lecture à haute voix. J'étais généralement là aussi, à l'autre bout de la pièce, avec un livre. J'eus envie de me procurer non pas le même bonheur, mais un bonheur analogue.
L'apprentissage de la lecture, si important qu'il modifie la structure de notre cerveau et plus encore la qualité de notre vie, j'aime qu'il soit resté mon affaire, ma responsabilité à moi ! Comme nous parlons de « grands auteurs », les juifs parlent de « grands lecteurs ». Je voudrais être de ceux-là.
C'est thérapeutique ?
Pour le plaisir, j'évoquerai encore ce souvenir, récent. J'ai 60 ans, le Père adoptif est mort et le deuil est toujours là. Chaque semaine, je prends à l'arrachée une dizaine de livres de tous rayons en bibliothèque municipale, pour continuer de m'ouvrir à la vie. Dans ces emprunts, il y a toujours trois – quatre livres pour enfants.
Ce jour-là, j'arrive tard. La bibliothèque va fermer. Je vais donc à l'essentiel, demande à l'agent de service « un livre avec un lapin ». La dame s'enquiert : « Pour quel âge ? » Je réponds sans même me rendre compte du ridicule possible de la situation : « J'ai 60 ans ». Silence . La dame interloquée se reprend et sourit : « C'est thérapeutique ? » Je ris de bon cœur, acquiesce et repars avec Lapin rouge, qui le sera vraiment !
Et on en vient à proposer des lectures publiques pour le plaisir ?
On vient seul ou avec des amis, on s’assied, on se pose.
Pendant une heure environ, je lis des textes, souvent écrits en notre temps, souvent d’inspiration juive ou chrétienne, faisant partie de notre trésor culturel.
Quelques uns s’adressent aux enfants :
- Pierre-Marie Beaude : Fleur des neiges, Gallimard jeunesse, 2004.
- Le Prince Ivan, le Bébé-sorcière et la petite Sœur du soleil, conte russe.
- Vassilissa la Belle, conte russe.
Mais la majeure partie des ouvrages présentés concerne les adultes, qu’il s’agisse de poésie contemporaine ou de livres tels que :
- Marie Balmary : Le moine et la psychanalyste, Albin Michel, 2005.
- Hélène Berr : Journal, Tallandier, 2008.
- Pierre-Marie Beaude : Marie la passante, Desclée de Brouwer, 1999.
- Pierre-Marie Beaude : Simples portraits au fil du temps, Desclée de Brouwer, 2000.
- Maurice Bellet : L’épreuve, Desclée de Brouwer, 1988.
- Albrecht Goes : Jusqu’à l’aube, Librio, 1971.
- Gérard Pfister : Marcel Weinum et la Main noire, Arfuyen, 2007.
- Eric-Emmanuel Schmitt : Oscar et la dame rose, Albin Michel, 2002.
- Christiane Singer : Derniers fragments d’un long voyage, Albin Michel, 2007.
- Charles-Eugène Weiss : Malgré la nuit et le brouillard, Arfuyen, 2006.