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31/08/2024

Oui, il en est une à Strasbourg !!! Je suis passée très souvent devant elle, pendant vingt ans, sans la voir, la cherchant ailleurs, par mépris. Mea culpa.

Je l'ai enfin à la fois vue et identifiée cet été, tandis que j'arpentais les couloirs du Musée des Beaux Arts, gratuit le premier dimanche du mois... Autrefois, je ne percevais d'elle que son style académique. Et puis ses yeux m'agaçaient -ils m'agacent toujours-, levés au ciel selon ce motif qu'en histoire de l'art on appelle « l'oeil chrétien ».
Certes, j'aimais ses dimensions imposantes – le tableau fait en hauteur 204 cm, en largeur 147 cm -, sa posture frontale, l'époque – fin du XIXe s - en elle et par elle subtilement sensible, avec tout ce qui s'y rattache quant aux styles de vie, aux architectures, aux arts, aux courants de pensée. Les roses peintes au sol m'étaient douces. J'avais pourtant un bref coup d'oeil seulement, allais mon chemin.

Il en fut de même cet été, sauf que je m'arrêtai quelques mètres plus loin et retournai sur mes pas. J'avais remarqué pour la première fois le manteau de la Vierge, immense, tout noir.
Qui a l'idée de revêtir Marie d'un manteau noir ? Bleu nuit, oui, c'est de tradition, médiévale. Mais noir. A moins que le manteau ait été initialement d'un bleu très sombre et qu'il ait viré. Après tout, peu importe : il se trouve que, maintenant, cette Vierge est revêtue d'un grand manteau noir - il couvre même la tête - qui la fait "Vierge noire".

Je l'ai regardée à neuf, longuement. Oui, c'est, selon la tradition des « Vierges noires », la femme vue de face, très droite, hiératique, ne vous regardant pas. Oui, elle porte sur son sein mais comme indifférente. Oui, elle est absorbée dans sa vision, une vision qui va au-delà, au-delà, encore au-delà. Non, ce n'est pas une sculpture mais une peinture. Non, elle ne présente ni ne donne l'enfant au monde. Elle a sur le sein une belle jeune femme vue de profil. Implorant ? Un petit garçon mort gît au sol, de roses éparses entouré. La Vierge, ici, ne relève pas de la tradition des « Vierges noires », c'est une Vierge dite «consolatrice ». On comprend : elle implore pour la femme dont l'enfant est mort. Du moins est-ce ce que je comprenais. Je découvrirai que c'est plus complexe.

Le soir de ce face à face avec elle, je cherchai sur internet qui était cette Vierge. Je retrouvai l'artiste, le contexte de l'oeuvre, la place de celle-ci dans la vie du peintre, la réception du tableau en son temps. Dès lors, je regardai tout autrement, avec un infini respect et une profonde compassion.

Le peintre, William Bouguereau, fut très apprécié par ceux qui faisaient l'art en son temps. Ils devint professeur à l'Ecole des beaux arts de Paris et à l' Académie Julian, président de la Fondation Taylor, membre de l'Académie des beaux arts, et remporta le Prix de Rome.

Certes, d'autres furent allergiques à son art : Huysmans et les peintres fougueux, de tempérament plus expressionniste, se récrièrent ; jusqu'à la fin du XXe s, aimer Bouguereau fut avoir mauvais goût. Le peintre peignait. Certes, le style était néoclassique. Le peintre peignait. Certes, tout était comme de convenance. Le peintre peignait.

L'huile sur toile de Bouguereau conservée à Strasbourg date de 1877. Le peintre venait de perdre son fils de huit mois et, un peu plus tard, sa femme, tous deux en un an morts de tuberculose.

La mère et l'enfant sont sur le tableau.

Le détour par la biographie est toujours éclairant. Qu'il s'agisse des hommes publics ou des proches, nous serons beaucoup plus prudents, beaucoup plus nuancés et beaucoup plus respectueux en y étant attentifs. De toute façon, condamner ne sera plus possible, intellectuellement plus possible... Nous sentirons qu'il y a mieux à faire que critiquer.

Demain, premier dimanche de septembre, les musées sont gratuits. Je retourne voir celle que j'appelle « la Vierge noire de Strasbourg ». Je prévois d'en faire une démarche rituelle tous les mois. Et pourquoi pas ?

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