07/09/2025
L’anamnèse de moments passés décisifs dans ma "prise d'autonomie en anxiété" est ici importante. Je puis m’appuyer sur eux pour m’élancer à neuf.
L'effroi, c'était déjà quand j'étais petite, toute petite, et silencieuse, justement par peur. Cela a continué sourdement en moi dans l’adolescence puis flambé sur le seuil de la vie adulte.
Là, la première parole qui fit sur le long terme un travail libérateur fut ce mot d'une collègue, professeur de mathématiques, un peu plus âgée que moi : « Mais, au fond, au fond de toi, tu sais ! ».
Puis il y eut, dans l'immédiat décevante certes, mais avec le recul de 45 ans magnifiquement efficiente, cette réponse d'un jeune médecin, à qui, à 25 ans, lasse, lasse, exténuée, je demandai, ayant souhaité mon hospitalisation durant le temps de Noël ce qu’il pouvait faire pour m'aider. « Rien », me dit-il, laconique, et... désolé. Je me redressai alors, ce qui prit des années, pour en avoir déduit que le corps médical n'était pas plus compétent que moi quant à ce que je vivais, que j'avais donc au moins autant de savoir que lui dans ce domaine. Je garde ceci en mémoire, ce qui ne m'empêche pas de rechercher le dialogue avec mes médecins, tous de grande qualité, au point que leur parole m'est des plus précieuses dans tous les domaines de mon existence. J'ai conscience de vivre avec eux un sommet d'humanité.
Le troisième moment clef fut celui où mon gastro-entérologue, un chirurgien, donc un homme du front, perpétuellement aux prises avec des maladies mortelles par accompagnement de ses patients depuis l'annonce du diagnostic jusqu'au bout, m’écoutant évoquer brièvement un moment de mon enfance, fut soudain tout perturbé par des larmes montées en lui. Il me dit quelques mots pour s'excuser de son état. Qu'il manifestât malgré la distance professionnelle et la pudeur un tel bouleversement me laissa songeuse. Si cet homme pleurait juste en entrevoyant ce que j'avais là vécu, moi qui ne l’avais jamais fait en 40 ans, j'en avais peut-être, pour l’avoir enduré, a fortiori, le droit. J'avais peut-être vraiment vécu de l'inadmissible... Quelques jours plus tard, une émission à la radio entendue par hasard confirmait. Grave, gravissime. Cette prise de conscience est essentielle, à garder, tout comme je garde le fait de n’en vouloir à personne pour ce qui eut lieu.
Plus tard encore, j'avais maintenant la soixantaine, il y eut le film, Les intranquilles. J'en regardai le début, partis avant la fin pour ne pas me torturer. J'en avais vu et reconnu assez. Dans la grande avenue du cinéma, j'éclatai en sanglots rauques. C'était animal, guttural. Cela montait du fond de ma gorge, la raclait et n'apaisait aucunement. Je voyais flou. Et cela durait durait durait. J'étais âpre et farouche, comme un fauve blessé. Je marchai longtemps avec ces râles que je n'étouffais plus. Les hautes façades sur ma droite, la foule sur ma gauche me canalisaient. Heureusement. Cela me protégeait contre moi-même. J'en étais consciente, éprouvai de la reconnaissance pour ces murs d’un côté et pour ces inconnus consternés de l’autre, qui, je le sentais, avaient compassion. Je me percevais pitoyable mais je m'en fichais. Je me fichais de tout ! Etait montée en moi une colère gigantesque, encore inconnue de moi mais que je reconnaissais mienne, terrible. Et sans appel ! Pas à cause de ce que j'avais vécu, pas à cause du destin, pas à cause de ceux qui avaient fait mal, non ! A cause des propos moralisateurs et culpabilisants que les uns et les autres, autour, avaient eu à mon égard en mon enfance, mon adolescence, ma vie de jeune adulte et ma maturité. Là, dans la rue à la sortie du cinéma, j'étais tout à coup, devant ces gens du passé qui m'avaient plaquée au sol avec leur conformisme, un dragon dressé, immense, le cou incurvé, les naseaux dilatés, la gueule pouvant – ne le faisant pas mais pouvant – cracher un fleuve de feu. Je hurlai intérieurement : « Que plus personne ne me fasse le moindre reproche pour quoi que ce soit ! Vous n'avez pas idée de ce que j'ai enduré, réagissant pauvrement comme je le pouvais ! Pas idée ! » Retranscrivant ceci maintenant, je me surprends à frapper sur les touches de l'ordinateur comme je ne l'ai jamais fait. Je suis donc toujours en colère... Je ne le savais pas.
Cette colère, qui ne détruisit rien ni personne mais se déclara enfin, fut une chance dans mon parcours. Elle était santé mentale et fit plus de santé mentale en moi. J'en dis merci, je ne sais à qui. Comme je découvre qu'elle est toujours là, se pose pour moi maintenant la question suivante. Que puis-je en faire, la respectant et la chevauchant noblement ?
J'aimerais qu'elle se transforme en un beau cheval de feu sautant courageusement les obstacles sans jamais faire de mal à rien ni personne, mais donnant le franchissement superbe...
En l’étape actuelle, je puis prendre en compte le fait que je suis marquée et structurée à jamais par les sillons en mon psychisme des malheurs anciens. Je choisis de continuer d’en faire une belle histoire, pas imaginaire, tout à fait vraie puisque bien aux prises avec le réel, sur lequel je ne puis rien !




