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02/02/2023

Un poète a parlé de « la joie des matins neufs ». Je m’y applique depuis plus de quarante ans chaque jour, n’y suis pour le moment pas parvenue. 

Pierre Emmanuel sait dire ce qu’est initialement le réveil pour moi, même si je ne me reconnais pas dans la notion de péché et d’embourbement en son âme. Je me doute, j’entends, je découvre que nous sommes nombreux à vivre le début de la journée ainsi : 

« Il se tira lourdement de sa vase il se désembourba de son âme
Un péché d’énorme fatigue une boue de plomb lui collait dessus
Une angoisse l’écoeurait d’être en vie.
Cette mort molle qu’il faut hisser puis contraindre à se tenir debout
Moi qui se somme d’être un rocher et sitôt droit n’est que chute d’entrailles. »
Pierre Emmanuel, Jacob, Paris, Seuil, 1970, p. 123

Mais je me dis qu’il a  peut-être, voire sans doute, pour moi, à partir de ce que je vis et même dans ce que je vis, autre chose  tout aussi beau, qu’il me revient de trouver, mieux, à la fois de remarquer et d’inventer. Je pense qu’à partir de cet écoeurement ,  je puis me donner des conditions favorables à l’entrée dans une autre dynamique. 
Je le veux. Je le fais. Chacun a ses propres stratégies. Voici la mienne, tout simplement partagée, au cas où elle servirait à quelqu’un. 
Dès que j’ouvre les yeux, explicitement, à voix intérieure, je me greffe sur la figure du Christ en sa résurrection. 
Je me lève aussitôt, résolument, d’un seul élan. Il y a donc la parole et le geste. Puis j’ouvre grand la fenêtre sur la nuit profonde encore. C’est pour m’ouvrir moi-même, m’ouvrir au jour qui va se lever et m’ouvrir au quartier, au monde.   
Je vais tout de suite dans la salle de bain, mets sur la tête la triple tiare de mes toques de chimiothérapie qui me font impériale, ajuste ma tenue d’intérieure souple et chaude, me parfume pour la prière.
Puis, j’allume les lampes basses de mon petit appartement-tabernacle, fais mon lit  qui a eu le temps d’aérer, me prépare une grande boisson chaude, gingembre et chocolat noir, et savoure. 
Je m’assieds maintenant en Indien pour la prière, en hiver le dos contre le radiateur chaud, me tiens bien droite. Je ne me demande rien d’autre que de tenir physiquement une demi-heure, si je suis pressée vingt minutes, intérieurement orientée vers la vie. Je laisse monter ce qui vient, y compris l’angoisse, et ne juge pas ce que je fais là. 
Expérience régulièrement faite, je parviens à tenir, même dans l’angoisse, aidée par le rituel, plus exactement aidée par un élément du rituel. Curieux, cela ! 
J’ai constaté que, si je fais exactement la même chose sans ce qu’avec humour j’appelle la triple tiare de mes toques, je ne réussis pas toujours à rester immobile au sol. 
Par le beau geste répété de la toque pour la prière, joint à un parfum pour la prière,  j’ai initialement voulu faire comprendre quelque chose à mon corps. Cela a eu lieu. Je me le suis donné pour l’esthétique honorant la prière et m’honorant dans la prière, en grande fierté devant mon Dieu, lui faisant face. 
Je ne me doutais pas que cela me ferait tant de bien. Cela m’étonne et m’émerveille. Qui connaît les tempêtes de l’angoisse comprendra. 

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